La caisse 12

J'observe à droit et à gauche : «Celle-ci : la 11 » me dis-je.

Je la sens bien. C'est exactement ce qu'il me faut pour valider ma théorie longuement réfléchie.

Toute le monde a fait au moins une fois (si ce n'est plus) le choix malheureux de la file de caisse au supermarché qui n'avance pas ! Alors que l'on est pressé, bien sûr.

Fort de mon impatience et en avance sur notre besoin d'instantanéité, j'avais établi une théorie permettant de choisir la caisse qui avancera le plus vite. ou celle qui avancera le moins vite.

En effet, ce n'est pas la caissière qui ralentit le process, elle est professionnelle et gère le nombre d'articles scannées avec maestria. Ce n'est pas non plus systématiquement le nombre d'articles dans un chariot. C'est souvent le règlement des courses. Car une fois que la caissière a terminé de faire passer les N articles devant le laser rouge du scanner, elle a le temps de donner un coup de chiffon sur le tapis roulant, ranger les bons de réduction dans une enveloppe en attendant que le client termine de ranger soigneusement ses courses dans le chariot puis cherche frénétiquement le portefeuille contenant son moyen de paiement. pour ce dernier, nous avons trois possibilités : Carte bleue, chèque ou liquide. Un rapide regard sur l'écran pour connaître le montant et le choix du moyen de paiement s'effectue après un temps de réflexion.

  • La carte bleue : Une fois retrouvée dans une des nombreuses poches ou au fond du sac, il faut bien sûr insérer ce bout de plastic dans le lecteur de carte dont les concepteurs se sont surpassés pour camoufler la fente : puis si la carte est lue ( sinon c'est retrait, frottage énergique de la puce sur la manche ou sous le pouce), encore quelques secondes de réflexion pour encoder le PIN à 4 chiffres.

  • Le chèque : Souvent dans la poche intérieure latérale zippée ou au fond du sac ou de la poche. Le voilà ! Le chèque est délicatement détaché du talon selon les pointillés et malgré le conseil de la caissière de "NE PAS REMPLIR LE CHEQUE - C'est la machine qui s'en occupe". Certains s'obstinent à chercher un stylo pour écrire le montant en prose avec des traits partout. Sûrement pour empêcher la caissière de rajouter un 1 devant le montant ou un zéro derrière. Une fois le montant imprimé et présenté au client, le chèque sera enfin signé.

  • Le cash : Le portefeuille ou le porte-monnaie ouvert, les billets neufs apparaissent et bombent le torse. Il y a différentes couleurs et sont souvent accompagnés de pièces de teintes variées pour faire l'appoint; Après s'être appliqué à compter soigneusement cette mini fortune sonnante et trébuchante devant les yeux de la caissière, celle-ci va refaire exactement le même contrôle. Et tout remettre par couleur et genre ce règlement hétéroclite dans les différentes cases du tiroir-caisse.

Telle est donc ma théorie. Merci pour vos applaudissements, vous pouvez vous rassoir.

Reste donc à le tester en réel pour la valider.

J'étais donc à la caisse 11 avec trois chariots à moitié remplis devant moi. Les autres caisses étaient saturées. la caisse à coté, la 12, se vidait étrangement et rapidement car le client en pole position avec un seul chariot mais repli au delà du raisonnable. Et même dessous et devant. Beaucoup de packs de bouteilles de boissons sucrées, de bières, de vins, d'alcools et une moitié de rayon de paquets de chips en équilibre sur le sommet. A la vue de ce convoi exceptionnel, les clients changeaient de file.

Grâce à ma théorie, je décide donc de changer de caisse et me positionne derrière ce supposé responsable des achats du barbecue de l'amicale des hérissons lorrains ou du club de foot local.

J'étais certain de sortir avant le gars devant moi à la caisse 11. Un sentiment de pleine satisfaction nait en moi, détenteur de LA théorie du choix de la caisse.

C'est parti : Notre homme démarre et le tapis vide se remplit à vitesse grand V avec tous les paquets de chips. puis il tente le «je dois sortir tous les packs? » oui, car ils sont tous différents là… Et le tapis s'engorge un peu plus.

Ne pouvant plus rien y mettre, la caissière décroise les bras et lui demande sa carte de fidélité. Notre client s'interrompt dans le chargement du tapis, ouvre son sac banane et cherche sa carte fidélité parmi une liasse de bouts de papier mélangés à des billets. Finalement, la carte sera retrouve plus tard dans la poche arrière du pantalon. Scan du code barre, 3 tentatives de saisie du code plus tard, la caissière démarre le scan-marathon à une vitesse impressionnante. les paquets de chips sont dégagés en un temps record et les premiers packs de Banga commencent à les écraser de tout leu poids dans l'espace arrière.

« Monsieur, il faudrait que vous commenciez à ranger car c'est bloqué là ! ». Et là, je constate que non seulement il y a engorgement de l'aire arrière, mais que le tapis frontal est rempli de packs et que son chariot n'est qu'à moitié vide.

La chaine est bloquée. Devant, derrière, sur le coté : Il y en a partout. Un second chariot semble être la solution. Mais notre client n'a pas de second chariot, ni même de second jeton; je remercie la dame de la caisse 13 qui lui donnera finalement son chariot et son jeton. Le transfert de la base arrière démarre et le nouveau chariot se rempli de sacs de chips. puis de deux packs de Banga qui commencent à écraser les paquets de chips que notre homme ressort avec un agacement naissant. la caissière redémarre son travail et la noria de packs scannés remplit à nouveau l'espace arrière, notre homme semble débordé, le tapis à l'avant se vide et doit être à nouveau achalandé du restant dans son chariot. il n'est pas le seul à être agacé. je commence à monter un peu dans les tours. Surtout quand le gars de la caisse 11 qui était devant moi sort avec son chariot et me fait un clin d'œil détruisant le peu de calme qui me restait. Et ma fierté fait qu'il est absolument hors de question de changer de file. j'y suis, j'y reste. J'ai une théorie à valider moi !

Le temps s'écoule lentement, je fais quelques exercices de respiration permettant de contenir le rythme cardiaque en deçà de la zone rouge. Zen.

Voilà, finalement les deux chariots sont remplis (mais comment avait-il fait pour TOUT mettre dans un seul chariot au début ? Mystère de la consommation), le règlement arrive enfin. Je sais que, grâce à ma théorie mentalement validée, cette étape se fera rapidement ce n'est qu'une question de principe.

Le montant à régler avoisine les 500 euros.

Notre homme du jour replonge ses grosses mains dans son sac banane et sort une liasse de billets de 5 et 10 euros. le comptage s'annonce long et fastidieux. Il est très appliqué à poser billet par billet et en les rangeant dix par dix. Puis vient le porte-monnaie avec ses pièces. Voilà, au tour de notre professionnelle dus can ( et de la patience aujourd'hui) qui réitère l'exercice. Le compte est bon ! J'arrêt les exercices de respiration. Je retrouve ma quiétude d'avant, Une imprimante sort un ticket de caisse long comme l'attente subie.

Caissière 1 : Pardon ? In vous faut une facture ? Ah, il aurait fallu me le demander avant car là, je ne peux plus l'éditer. faut aller voir à la caisse principale.

Caissière 2 : Non Monique, demande à la principale, il te déverrouille pour l'édition.

Caissière 1 : Merci Josiane.

Coup de fil à l'autorité qui débloque l'informatique. Une facture vierge est introduite dans la mini-imprimante et la touche ENTER appuyée déclenche un bruit anormal: La facture se froisse complétement dans les mâchoires de l'imprimante qui s'est prise pour une destructrice de papier. le papier-accordéon est retiré et Monique cherche une nouvelle facture vierge. Qu'elle n'a pas.

Caissière 1 : Josiane, tu aurais une facture ? j'en n'ai plus !

Caissière 2 : Oui mais là, faut attendre que je finisse avec ce chariot.

Josiane dépannera Monique après une longue attente qui a reboosté mon adrénaline. Facture finalement imprimée avec sa copie carbonée.

je passe les détails sur le parfait pliage à 90° de la facture en trois parts égales par notre homme qui aura passé pas moins de 20 minutes à la caisse. Mes articles sont sur le tapis depuis belle lurette. j'espère que la DLC n'est pas dépassée depuis tout ce temps...

Je tente une plaisanterie en annonçant à "Monique" que je n'ai pas besoin de facture. Nous ne sommes pas trop raccord sur cet humour. Mon chariot rempli, je règle avec ma carte, insertion et là : Le trou de mémoire. je ne me souviens plus de mon code. Ca me parait incroyable, je suis confus, je ne sais plus où me mettre, surtout pour éviter le regard assassin de la cliente derrière moi qui ne demande qu'à m'envoyer sa boite de petit pois carotte dans la figure.

Je règle en cash et m'enfuis loin de cet endroit qui m'a fait perdre :

  • Du temps

  • La validation de ma théorie

  • Toute confiance en moi

Depuis, je repense à cet épisode à chaque fois que je vois un hyper méga chariot en caisse et je m'en éloigne naturellement. J'ai remisé cette théorie au fond de mes archives.

Turgath

2024-03-23 Turgath L`envie de vous lire