Mon train 93 pour Philadephia est annoncé.
A l'heure. Pas comme celui de Montréal de 08:40 qui est toujours annoncé "retardé" Le haut-parleur grommelle une phrases incompréhensible pour moi. La voix nasillarde de l'opératrice avec la résonnance du grand hall ne m'aide pas. Mais une majorité de voyageurs se dirigent en file indienne de Disneyland vers un numéro de quai souterrain.
Est ce bien mon quai me dis-je tel l'angoissé de base ? Je jette un regard désintéressé voir désespéré sur le billet d'une personne à mes cotés. Je ne vois rien (Oui, je suis angoissé et myope). Attendons un peu, le temps devrait jouer en ma faveur (mais parfois optimiste. Ou inconscient).
Devant moi, dans la file, notre homme du jour est l'archétype de l'américain même s'il parle italien. Fort. Très fort. Cheveux gominés en arrière, monture de lunettes cerclées chromées, costume bleu marine, chemise blanche, cravate rouge, mocassin à gland (ôô). Bracelet de la Rolex lâche sur le poignet et chevalière au doigt. Silhouette plus proche d'une bouteille de perrier que celle d'un crossfiteur. Valise et sacoche assorties.
Qu'est-il ? Avocat? Financier? Lobbyiste ? politique ? On ne saura pas.
Il est dans un groupe avec trois femmes et un autre homme. il parle, il raconte quelque chose qui les captive. Mon italien basé sur dix mots dont trois sont des insultes ne me permet pas de suivre son histoire : Un rendez vous manqué ? Un quiproquo ?
Les dames sont captivées par son récit et le lui rendent bien : Leurs sourcils remontent sur le front, leurs yeux sont grands ouverts et leurs blanches dentitions sont mises en avant grâce aux généreux sourires déclenchés au rythme des intonations de cette célébrité du moment.
"Notre" narrateur ( oui, je me sens de facto inclus dans ce groupe avec d'autres passagers que ne peuvent qu'écouter ce podcast sur pattes) en rajoute un peu : Il se balance d'avant en arrière, il joue sur les intonations, sur les silences préparant un effet de surprise, sur les mouvements de tête et de mains (il est italien hein?), un peu comme Yves Montand jouant César dans "César et Rosalie". j'ai finalement la confirmation que je suis dans la bonne file pour le train 93 : Je l'ai vu sur son billet que j'ai failli prendre dans la figure lorsqu'avec le geste ample de son bras, il lâche la chute de son histoire faisant s'esclaffer l'auditoire qui avait grossi depuis le début du récit. je n'ai rien saisi de l'intrigue.
Bon, basta maintenant : ça avance, on y va. La file s'étire lentement jusqu'à l'escalator nous conduisant au quai souterrain. Le groupe est en première classe. La classe. Et un ouf de soulagement pour moi en classe "coach", j'aurai eu du mal à les supporter pendant le trajet. Dans l'avant dernier wagon, je demande à une dame déjà installée si la place à ses côtés est disponible : oui me répond elle avec un sourire que je devine au travers de son masque FFP2 sur le nez et au plissement de ses yeux. Elle reprend son activité de tricotage. Appliquée, elle compte régulièrement ses mailles et contrôle les changements de points avec sa petite feuille posée sur son sac à main. Son index noueux compte les mailles trois par trois. En 10 minutes je suis passé d'un environnement bruyant et exubérant à quelque chose de calme et bienveillant.
NYC, une ville d'extrêmes. A tout point de vue.
Turgath